Aux confins de l’Anjou, du Poitou et de la Touraine, non loin de Saumur et près de Candes où mourut l’illustre saint Martin, se trouve un vallon solitaire, aride et inculte, planté de buissons épineux, appelé Fontaine d’Évrauld (Fons Ebraldi) depuis des temps anciens. C’est ce lieu que, bénéficiant du triple soutien du pape, de l’évêque de Poitiers et du seigneur de Montsoreau, un prédicateur breton, mystique et enthousiaste nommé Robert d’Arbrissel, choisit pour établir en 1101 la communauté de ses nombreux disciples, hommes et femmes, qui le suivaient avec ferveur.
Robert d’Arbrissel répartit ses disciples en quatre établissements distincts : Saint-Jean-de-L’Habit pour les moines, le Grand Moûtier pour les femmes, le Saint-Lazare pour les lépreux et la Madeleine pour les femmes pécheresses repenties, le tout avec une église commune achevée en 1119. Cette fondation unique suit la règle de saint Benoît et est placée sous le patronage de la Vierge. Une caractéristique étonnante de cette fondation est que les moines et moniales sont placés sous l’autorité exclusive d’une abbesse, établissant ainsi une hiérarchie où l’homme est soumis à la femme.
À la mort de Robert d’Arbrissel, l’abbaye compte plusieurs milliers de religieux et religieuses répartis dans 32 prieurés. L’institut se répand rapidement en France, en Espagne et en Angleterre. Au XVe siècle, les moines tentent à plusieurs reprises de se soustraire à l’autorité de l’abbesse, mais sans succès. Jusqu’à la Révolution française, 35 abbesses se succèdent, toutes de haute naissance, dont quatorze princesses et cinq issues de la maison royale de Bourbon, parmi lesquelles Jeanne-Baptiste de Bourbon, fille naturelle du roi Henri IV. Louis XV confie à l’abbaye l’éducation de ses quatre filles cadettes.